cw ;
addiction, anxiété, consommation de cannabis, tension familiale Cinq minutes de retard. La ponctualité est pour toi ce que la patience est pour ta tante : une corvée contre-nature que tu t'efforces de surmonter pour le bien commun et la paix sociale. C'est pas tant un manque de volonté de ta part, plutôt une tendance à trop mettre dans ton assiette et te laisser déborder par le quotidien. Tu vis imprévisible, chaotique, sujet aux lubies, aux émotions – aux oublis aussi, l'attention sélective t'amenant régulièrement à trahir les confiances, et seulement quelques fois de façon intentionnelle. Pas de réelle excuse, sinon qu'il a fallu que tu repères l'endroit, l'emménagement de Moira ne datant pas de plus de quelques mois. Est-ce qu'elle t'avait invité depuis son installation ? Ça aurait été surprenant que non, mais considérant que tu t'étais probablement défoncé à chaque fois, on ne peut pas dire que les souvenirs reviennent en masse.
Dix minutes de retard. Tu piétines devant la porte, un joint aux lèvres, besoin de détente. Y'a ce contrecoup vicieux : tu sais que l'odeur va te suivre à la trace et que ta tante la supporte mal. C'est pas que tu veux spécialement la contrarier, mais tu te prépares au jugement pointilleux auquel elle t'a habitué, qui fait grimper ta tension au-dessus du seuil recommandé, et t'as vraiment que ce recours pour gérer le stress. La même chose qui te rend plus facile d'encaisser sa critique fait la matière de ce qu'elle pourra te reprocher. Tu l'aimes, ta tante, et assurément elle doit t'aimer aussi (quoique t'as du mal à te débarrasser totalement du doute) ; tu sais aussi que y'a cent raisons pour que tu sois pas son neveu préféré, et cent raisons pour que tu la visites moins que d'autres.
Moira s'impose des attentes que tu pourras jamais égaler. T'aimerais dire que depuis le temps tu es en paix avec cette idée, mais elle revient toujours te torturer dans les minutes qui précèdent la rencontre. Y'a des jours où t'aimerais pouvoir être assez.
Vingt minutes de retard. Soupir, le cul du joint finit râclé sous ta semelle et expédié d'un revers de pied dans un flanc de l'allée, où il ne sera probablement pas déniché avant la prochaine tonte. Tu sonnes ; elle est presque trop rapide sur la poignée, c'est une évidence qu'elle t'attendait sans rien faire d'autre. Tu étires un sourire, accueillant au même moment les premiers effets de ta relaxation artificielle – et l'accélération cardiaque qui vient avec. «
Salut tata ! » On pourrait presque te croire à l'aise. Au premier coup d'œil jeté à l'intérieur de la baraque pourtant, tu sens immédiatement que t'es pas chez toi. Propre, rangé,
cher. «
T'inquiète pas, avec Maps j'me suis démerdé comme un chef. » Tu sais bien que c'est pas de l'inquiétude, plutôt un reproche sur ton retard, mais tu comptes bien éviter les sujets qui fâchent. Pourtant, la bonne volonté s'affaisse une seconde, avec les mots que tu attrapes avant de réussir à passer le seuil, qui étalent sur ta face une espèce d'alarme. «
Mamie ? » A croire que dans ta préparation psychologique, tu n'avais pas anticipé la double peine.
Y'a une paire de secondes de latence avant que tu répondes à l'invitation et t'engouffres à l'intérieur de la grande maison, attendant qu'elle te guide comme tu te souviens de rien de l'aménagement des pièces. Le regard oscille sur la décoration ; tu toucheras qu'avec les yeux, Moira déteste tes doigts sur ses affaires. «
Le voilà Cody ! Qu'est-ce qu'il est beau mon petit fils. J'oublie à chaque fois, parce que tu ne viens plus me voir assez. » Elle t'accueille joyeusement au salon, les mains plissées tendues dans ta direction pour que tu ailles l'embrasser. Y'a pourtant encore un puits de malaise dans ton ventre qui te fait casser ton allure à la porte. «
Tu es bien rouge. Il faut mettre de la crème solaire, tu vas finir tout ridé. Comme James ! Oh, c'était impossible de le convaincre aussi celui-là, et puis toujours à se mettre en plein soleil. » Curieusement flottant dans une réalité abstraite, allant presque à reculons, tu finis quand même auprès d'elle – la mort dans les yeux quand elle t'embrasse la joue. «
Coucou mamie » tu répliques seulement, peu inspiré faut croire, ce qui te ressemble pas vraiment. «
Mais tu aurais pas maigri ? Tu te nourris assez, tu te fais des bonnes choses ? C'est le vrai nerf de la guerre tu sais, tout passe par l'estomac. C'est bien beau de te faire gonfler les muscles, mais sans la graisse tu n'iras pas loin. » Sourire forcé, tourné vers Moira, quand bien même ton regard lui passe à travers. «
Tata ? J'aime pas le thé, j'pourrais prendre un skoosh* ? J'sais pas, si t'as un irn-bru, un coca, un sprite, un schweppes... ou un jus... t'occupes, je peux trouver tout seul, c'est là-bas la cuisine ? » Et les pas, mécaniques, te font échapper la scène, sourd sinon indifférent à ce qu'on pourrait t'en redire.
*skoosh : en écossais de Glasgow, un soda.