Liminal space - 3am

Le tambour gronde d’un orage lointain, ténu - celui des talons qui frappent la tôle, celui qui cogne à chaque tour de la machine. Son métal grince et gémit à chaque effort, à chaque coup qui rythme la cadence de sa supplique.
Au fond de la pièce, une vieille radio répète sans cesse quelque slogans publicitaires, l’accent américain faiblement distordu - you can have your own fresh vegetable on your table this summer if you have your own Victory Garden -


La lumière clignote, vacille, et ses pieds se suspendent entre deux battements.
Barrée des vives stries blanchâtres des néons, la surface métallique cabossée se meut - animée des crachotis blafards du luminaire à l’agonie. L’obscurité s’étend, étouffe les lignes des rangées de machines et frôle les derniers recoins illuminés. L’ombre frissonne.

- Plant your Victory Garden now ! - Un nouveau tour et le hmmmm grésillant tressaute, l’obscurité faite une seconde, les points vifs dans la nuit autant d’yeux qui l’observent, immobiles et silencieux.
Ses doigts se referment sur l’habitacle sans trouver prise, ongles qui raclent le revêtement dans un crissement à peine senti. La machine tressaille, le vrombissement de son échine une vibration qui lui remonte le long des bras, descend le long de ses cuisses reposées contre le métal.
Portée par les tremblements qui agitent son sang et ses nerfs - la pulsion est là. Elle presse tout contre la peau - trop serrée, qu’elle voudrait arracher -

La lumière clignote, s’esquinte avant de replonger la salle dans le noir. - the advice of a garden expert if you-
-a garden expert if you-

-If you-

- You can have your own fresh vegetables on your table this summer if you have your own Victory Garden -

Les néons craquèlent, zèbrent le rectangle de la porte vitrée donnant sur la rue - le bitume une mer d’huile poisseuse aux reflets de feux orangés. Les ondes lèchent le sol, dessinent le miroir trouble du signe extérieur tout aussi défaillant.

Le bouton de la radio tourne, délaisse l’inaudible à de nombreuses reprises, le crachins et les voix inaudibles avant d’être abandonné au hasard.

Elle sait qu’elle arrive.
L’ombre plus devinée qu’observée - extirpée de celles qui remontent le long des murs, caressent les carcasses et s'agrippent à ses jambes pendues.

Le tambour gronde d’un orage lointain, ténu - la lumière clignote, vacille, et ses pieds se suspendent entre deux battements.


- Plant your Victory Garden now ! -


De sous la capuche
- tout contre la peau - trop serrée, qu’elle voudrait arracher -
la voix est claire, blanche.

“Careful. Some are fucked up.”

“Careful. Some are fucked up.”

La voix recouvre à peine les grésillements incessants des luminaires. Stries blanchâtres sur plafond blanc. blanc sur blanc. Blanc qui transperce le noir d'encre de la nuit.  
Les yeux se plissent.

- Plant your Victory Garden now ! Careful. Some are fucked up. -

Et la rotation continue, s'accélère, ralentit.
Pile de vêtements salis dans un panier rouge. Une main s'en saisit, rien ne bouge.

- You can have your own fucked up vegetables on your table this summer if you have your own Victory Garden -

Le temps semble avoir interrompu son avancée d'équilibriste. Funambule suspendu dans les airs.
L'horloge murale sautille, petits traits carmins passent du 03:00 au 02:00 à l'indéchiffrable.

Et la rotation ralentit, s'accélère, continue.
Accroupie au milieu des tissus qui ne sont pas seulement siens, l'ombre éclairée d'une lueur aveuglante lève la tête en arrière. Plante regard sombre dans pupilles claires.

- the advice of a fucked up expert if you-

Un éclair et tout s'éteint.
ça grésille, puis crachote, puis ... Rien.


Quelques notes de silence. Même la respiration se retient.
Main enfoncée dans du tissu qui frotte contre l'épiderme.
Sa place n'est pas ici, figure figée dans une pièce vide. un seul regard pour se poser sur elle. Où est sa place déjà ? Pensées qui grésillent et s'obstruent à la sortie.

Bouboum-Bouboum. La danse rotative repart à l'envers, à l'endroit. Qui pour le dire ?
Et la lumière éclate à nouveau de sa froideur.
Les yeux se plissent.
Blanc qui transperce le noir d'encre de la nuit.  Blanc sur blanc. Stries blanchâtres sur plafond blanc. La voix recouvre à peine les grésillements incessants des luminaires.


- Plant your fucked up Garden now ! Careful. Some are victory  -

"Aren't we all?" Le chuchot crie dans le silence. "Which one?" La question étouffée.
Regard sombre demeure perdu dans pupilles claires. Dans l'attente d'un temps qui se retient.