you'll meet a tall dark stranger ▬ (finn)

Aucune amélioration. Les jours n'en finissaient plus de se suivre dans une morbide ressemblance. L'âme attristée de l'aînée ne parvenait guère à trouver de repos, que ce soit par l'annonce d'un miracle soudain ou celle d'une fatale tragédie. Georgina continuait son long séjour au cœur des limbes comateuses, sous la surveillance des médecins bienveillants de l'hôpital général de Scarborough. Davantage littéraire que scientifique, l'exposé clinique du personnel soignant plongeait Sybil dans la plus grande des confusions. Elle se rassurait en découvrant la silhouette de Georgina allongée dans le lit de coton, telle une princesse lovée dans un décor immaculé, qu'un tempo électronique sauvait de l'ennui comme de l'oubli. L'aînée redoutait le silence et le vide, chaque fois qu'elle s'engouffrait dans les couloirs de l’hôpital général de la ville côtière. Pousser la porte de la chambre n°26, sans y retrouver celle qu'elle avait déjà trop longtemps délaissée à son insu, serait dévastateur.

L'air iodé excitait les deux teckels comme des puces sur le dos d'un terre-neuve. Sybil vivait chaque pas imprégné sur la plage de Scarborough comme une respiration offerte entre deux brassées sous l'eau d'un quotidien trouble. Habituée aux lendemains incertains, ces derniers étaient plus aisés à supporter quand de simples biens matériels étaient en jeu, non la vie d'une sœur cadette adorée. Les larmes étaient aussi plus faciles à cacher quand les mensonges ne s'adressaient pas à celle qui vous avait conjointement engendré. « Son état est stable, maman. Les médecins sont confiants » enjoliva-t-elle pour apaiser l'angoisse de sa mère, à l'autre bout du téléphone. Tous les jours, un appel. Tous les jours, un engagement de plus à tenir avec la boule au ventre. Celle qu'on ne voudrait voir exploser pour répandre son poison. « Ses constantes sont bonnes...Elliott ! LAISSE CETTE MÉDUSE ! » beugla Sybil à l'intention du teckel téméraire. La saucisse sur pattes sursauta avant de s'éloigner rapidement de l'invertébré échoué sur le banc de sable. « Excuse-moi...Hum...Qu'est-ce que je disais ? » qu'elle bafouilla en essayant de se recentrer sur la conversation en cours. D'une œillade, elle balaya le reste de la plage, à la recherche de la deuxième moitié de la meute. Elliott trottinait quelques mètres devant elle, mais aucune trace de Peter aux alentours. « Peter ? Peter, viens ici ! » appela Sybil, qui avait complètement oublié sa mère à l'autre bout du combiné. Machinalement, elle éteignit l'écran de son téléphone, pour le fourrer dans la poche arrière de son jean. Où ce teckel avait-il bien pu aller se fourrer ? Elle espérait sincèrement que l'animal n'ait pas décidé de se prendre pour un lamantin. Pire idée de l'univers pour un canidé de la taille d'un sac à main ! Sybil appela à plusieurs reprises, alternant ordres en français et en anglais, tout en incitant Elliott à rester prêt d'elle d'une tape régulière contre sa cuisse. Au loin s'élevait la jetée Est de Scarborough et ses fondations de béton. Impossible que le chien ait pu la rejoindre en aussi peu de temps, compte tenu son gabarit. L'inquiétude commença à gagner Sybil, bien que son visage – déjà marqué par le tracas et le manque de sommeil – ne le laissait présumer. D'un geste vif, elle se baissa pour saisir Elliott dans ses bras, puis se rapprocha de la promenade qui bordait la plage. Avec un peu de chance, le second chien s'était laissé attiré par l'odeur alléchante du bacon grillé, préparé dans les cuisines des pubs locaux.

Peu importe le temps, Finn ne pouvait faire l'impasse sur son jogging quotidien. C'était toujours un moment où il pouvait se vider la tête, à n'écouter que sa musique ou son podcast tout en suivant un parcours pré-défini. Il pouvait se vanter de connaître Scarborough par cœur, croisant souvent les mêmes visages familiers, entre d'autres joggeurs comme lui et ceux qui venaient promener leurs chiens. C'était d'ailleurs l'autre point positif de cette habitude: pouvoir croiser les chiens qui commençaient à le connaître. Finn était tout aussi ravi de s'arrêter pour les saluer, ce qui ne faisait que rallonger son temps passé dehors au point d'avoir parfois l'impression qu'il faisait plus d'arrêts pour caresser les toutous plutôt que de courir. Qu'importe, cela restait quelques chose qui lui procurait de la joie et un peu de légèreté avant d'être confronté à la mort dans son boulot.

Ce jour-là, il courrait mais fut obligé de s'arrêter lorsque ses écouteurs se mirent à ne plus fonctionner correctement. Comment continuer alors qu'il n'avait plus de musique pour l'accompagner? Il cherchait à régler le problème, un peu frustré et contrarié par cet imprévu. Mais alors qu'il réfléchissait à une solution, il vit un chien courir un peu partout. Finn se mit aussitôt à sourire avant de se baisser pour appeler l'animal. Ce dernier vint aussitôt à lui, ce qui donna l'impression que ce chien l'avait choisi et qu'il était l'élu. «  Qu'est-ce que tu fait ici tout seul?  » dit-il à l'animal, comme si ce dernier allait lui donner la réponse. Puis il entendit une voix féminine appeler un certain Peter. Il leva les yeux, cherchant du regard ce qui se passait et vit une jeune femme avec un chien dans les bras. Finn baissa les yeux et s'adressa une nouvelle fois à son nouvel ami « Ce serait donc toi Peter? » Le teckel se mit à aboyer, confirmant ainsi son identité. Le médecin légiste prit le chien dans ses bras, et se dirigea vers sa propriétaire. Lorsqu'il arriva vers elle, Finn lui fit un signe de la main. « Je crois que j'ai votre fugueur. C'est Peter, pas vrai? » Le chien aboya une nouvelle fois, ce qui fit rire Finn. « Je crois qu'il sait comment il s'appelle. »
Il observa la jeune femme. Absolument charmante, pensa-t-il. Non, ce n'était pas le moment. Il caressa le chien qui était encore dans ses bras, n'osant pas le reposer de peur qu'il ne prenne à nouveau la fuite.

Le brune prit la direction des quais dans l'espoir que le canidé manquant ait eu la présence d'esprit de faire la course avec un joggeur matinal et non une brasse coulée avec une méduse de la Mer du Nord. Ma foi, elle avait vu juste. Elle entendit bientôt un jappement familier non loin d'elle, auquel Elliott répondit allègrement. Un jeune homme tout en sueur – au physique fort sympathique – lui adressa un signe de la main, tenant dans l'autre Peter qui gigotait. « Ma Doué !* Oui, c'est bien lui » soupira-t-elle, en adressant un sourire reconnaissant au sauveur canin. Sybil songea que les rues de Scarborough regorgeait de bels hommes, tant elle en avait vu d'attirant depuis son arrivée en ville. Peut-être qu'elle comprenait finalement ce qui avait poussé sa cadette à choisir un poste dans un endroit pareil. La station balnéaire ne payait pas de mine, mais le voisinage était agréable. « Je ne sais pas comment il fait avec ses petites pattes, mais il courre plus vite que moi ! » rit-elle à pleines dents, soudain d'humeur aux plaisanteries.

Elle finit par détendre le sourire stupide collé à son visage, pour s'occuper des deux canidés. Posant Elliott sur le sable, elle attacha la laisse au harnais fluo qui entourait son petit corps, puis tendit les bras pour récupérer le compère. « Merci beaucoup. Pendant un instant, j'ai eu peur qu'il ait décidé de prendre le large. Ma sœur me tuerait » avoua-t-elle, la voix soudainement empreinte d'émotions. Elle serra le chien fugueur dans ses bras avec affection, déposant un baiser sur le haut de son crâne soyeux. Un soupir las s'échappa d'entre ses lèvres. Voilà plusieurs semaines que son cœur s'affolait à chaque coup de téléphone et que les jours pluvieux s'enchainaient dans son quotidien. Avoir à s'occuper des deux chiens de sa cadette lui permettait de se sentir utile, mais également d'accéder à de rares moments de joie, lorsque les deux canidés lui offraient toute leur affection. Il était facile de s'attacher à ces petites bêtes-là ! Sybil ne se le pardonnerait jamais s'il leur arrivait quelque chose. En aucun cas, elle ne souhaiterait devoir annoncer une mauvaise nouvelle à Georgina, le jour où elle se réveillerait. Et elle souhaiterait encore moins perdre les chiens, ainsi que leur maîtresse...

Cette pensée intrusive et délétère arracha une larme à la jeunesse femme, tandis qu'elle caressait la pelage de Peter lové dans ses bras. La seconde laisse solidement harnachée, elle finit par le reposer au sol où il s'empressa d'aller mordiller les baskets de son sauveur, avant de se rouler sur le dos, pattes en l'air, pour réclamer des caresses sur le ventre. « C'est pas possible ! Aucune tenue celui-là ! » s'exclama Sybil, échappant un petit rire. Elle releva ses grands yeux bruns vers le charmant joggeur. « Il va vous coller chaque fois qu'il vous reverra » expliqua-t-elle d'un index levé, en désignant la plage aux abords. S'il l'homme venait souvent faire son jogging dans le coin, c'était certain que Peter lui ferait la fête, la prochaine fois qu'il le croiserait.

*Mon Dieu ! en breton  

Il n'avait pas vraiment prévu d'être interrompu dans son jogging par un chien fugueur, mais il n'était pas mécontent non plus. Et puis, si ça avait été un gosse et non un chien alors jamais il ne se serait intéressé à cette histoire. De plus, la propriétaire était charmante mais ce n'était pas le moment pour penser à cela. La jeune femme semblait soulagée d'avoir retrouvé l'animal et Finn fut plus que ravi d'avoir pu aider. Il se mit à rire lorsqu'elle se demanda comment un chien qui ressemblait à ça pouvait courir aussi vite. « Je suis tout aussi surpris. Ça doit être la détermination, il avait l'air d'être en mission. » C'est vrai que lorsqu'il avait vu cette petite saucisse cocktail aller si vite, il s'était dit que c'était surprenant. Finn ne s'était pas rendu compte qu'il avait gardé l'animal dans ses bras, le caressant encore, jusqu'à ce qu'elle ne tende les bras pour le récupérer. Dommage, il l'aurait bien gardé encore un peu.

La femme lui révéla ainsi que les chiens n'étaient pas les siens mais ceux de sa sœur et il comprenait à présent la panique qu'elle avait du ressentir en pensant les perdre. Il fut même un peu surpris de voir à quel point elle semblait émue et il dû se retenir pour ne pas passer un bras autour d'elle pour la réconforter. « Tout va bien. Tout est rentré dans l'ordre, votre sœur n'a pas à le savoir. Et puis, je pourrais toujours être là en tant que témoin si jamais ça peut vous aider. Je m'appelle Finn et je viens courir ici tous les jours. » En vrai gentleman, Finn aurait répondu présent sans hésiter pour défendre l'honneur de l'inconnue. Et puis, il s'était présenté et elle n'avait plus d'autre choix que de faire la même chose. Finalement, cette interruption avait du bon.
Et puis, il aurait tout fait juste pour pouvoir saluer les chiens qu'il croisait sur son chemin, c'était même un des meilleurs moments de sa journée.

D'ailleurs, l'animal fugueur semblait l'appréciait d'après son attitude et les dires de sa baby-sitter. Finn se mit à rire à son tour avant de se pencher pour caresser le chien. « Vous dites ça comme si c'était une mauvaise chose. Qu'il vienne me dire bonjour, ça me ferait plaisir. » Et c'était valable pour elle aussi. Il se mit à parler au chien comme un bébé à coup de 'c'est un gentil chien, oui' tout en lui demandant de ne plus s'enfuir comme il l'avait fait. « Vous êtes nouvelle? Je ne me souviens pas vous avoir déjà croisée... Si vous l'êtes, je vous souhaite la bienvenue. »