Like fairies in the night
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Maybe I don't have a soul.
Le son s’échappe, guitare résonnant dans la salle qu’on a vu avec pire public, découvrant le papillon aux couleurs multicolores se tenant sur la scène, paillettes dans les yeux qui rivalisent difficilement avec celles que l’on aperçoit sur chaque centimètre de sa peau. Tu aurais presque un mouvement de recul, peu habitué à observer des artistes moins sobres que toi, ou du moins qui ne cochent pas les codes de la scène que tu affectionnes le plus. C’est pas la première fois que tu le vois, Merle, l’avalanche d’entrain qu’il met dans ses notes, le sourire jusqu’aux oreilles. Tu l’as vu débarquer comme une Winx à la télé, t’as pas pu empêcher la curiosité de te pousser jusqu’au bar sur lequel t’es accoudé, les bras croisés.
Tu te demandes si toi aussi, tu aurais cet air extatique, si on t’avait pas refusé le succès, si on t’avait pas jeté partout où t’avais osé aller, si t’avais pas fini à la rue, faute de jouer des accords pour faire de l’or. Y a encore que le silence que tu réussissais à combler, à l’époque, et maintenant, tu sors plus l’instrument que pour te demander quoi en foutre et hésiter à le virer au prochain ramassage de déchets.
Tu sais pas combien de temps tu restes là à l’écouter, y a les chansons qui défilent et tu détestes, un peu, au fond, te dire que tu ne détestes pas ce que t’entends. L’envie, chez toi, ça déborde plus vite qu’un vase sous la flotte, faut dire. T’hésites à partir, après avoir applaudi comme il se doit, filé quelques billets dans le pot qui y est destiné, parce qu’on payait rien, dans ce monde-là, avec des félicitations - ce monde-là ou un autre, en vérité, t’en as pas testé des millions - mais finalement, tu continues de le regarder un peu trop longtemps se frayer un chemin dans la foule à grands renforts de sourires et de mots que tu imagines agréables - t’aurais peut-être deux trois trucs à réapprendre de lui, en fin de compte - et puis il prend la décision pour toi, alpagué sans que tu comprennes comment et que ton nom ressorte de la bouche du papillon lorsque le regard est accroché.
L’étonnement te sort de ta position, te fait décroiser les bras et t’avancer, sourire aussi, un sourire plus discret que celui qui mange la moitié du visage du destinataire. Le tien, on pourrait le louper avec un peu d’inattention. Tu le détailles, les sourcils qui se froncent imperceptiblement, involontairement aussi, lorsqu’au plus près, t’as tous les détails du maquillage qui te sautent aux yeux. C’est beau. C’est trop.
“Tu connais mon nom ?” Perplexité affichée, t’étais prêt à lui dire bravo et à te tailler, mais faut croire que parler de toi, tu préfères. Tu ris pourtant, étonnamment. C’est qu’il est drôlement communicatif, le papillon et tu pourrais arguer que la blague est marrante. Pas sûr que ce soit vrai, c’est à ce point que t’as si peu de distraction dans les jours qui s’enchaînent. “Apparemment, iels se sont octroyé une soirée de repos. Et moi aussi.” C’est pas que t’as l’impression de baby-sitter un jour sur deux, mais t’es bien content, malgré le talent, de pas avoir à te soucier des Velvet, ce soir. Iels sont demandeurs, et toi, en recherche de nouveaux artistes.
Tu te demandes quand même, toi, pourquoi tous les hommes que tu rencontres viennent mettre le sujet de la drague sur le tapis, d’abord Nicky, Nicholas avec son vélo cassé, puis Merle, l’insouciance au bord des lèvres. Ton placard n'est peut-être pas si bien fermé que ça, et ça te tend. “Si tu veux.” Le sourire, c’est plus qu’un souvenir, mais tu hèles une serveuse pour te commander une bière et attendre que Merle en fasse autant. Peut-être pas assez fort si tu veux survivre à cette soirée, mais au pire t’as toujours ta flasque quelque part dans ta veste. “ On devient pas manager en se cantonnant à ce qu’on connaît.” T’as pas forcément à te justifier d’être là, et si tu le prends pas comme une attaque, c’est pas franchement l’envie pressante de lui expliquer par A+B que t’aimais plus la musique que les musicien.nes. En un sens, t’es plus ou moins persuadé que c’est le cas pour les réalisateur.ices aussi, et que s’iels aiment leur produit fini, iels doivent plus savoir supporter les comédien.nes. Mais peut-être que c’est juste toi, qui aime pas les gens.
Tu t’éclaircis la gorge, cependant. “Je voulais te dire, c’était une bonne prestation. Ça fait longtemps que tu joues ?” T’es curieux de savoir s’il a galéré autant que toi, si ça lui est venu facilement, s’il a eu du soutien. Peut-être que t’es pas encore fixé à l’idée de le détester.