How did it get so late so soon?
Il y a ce brouhaha agréable de conversations, des mots qui se percutent, s’enchaînent, se superposent parfois, sans provoquer autre chose que des rires ou de courts instants de silence qui précédent une réponse sérieuse. L’étroit appartement était plein de cette harmonie fragile, celle qui définit la soirée, celle qui peut s’enrayer à partir d’un mot trop haut, d’un verre de trop. La musique emplissait le reste du silence sans étouffer l’agréable tumulte. Quelques danseurs dans un coin de la pièce, devisait sur les accords, se mouvant avec plus ou moins d’adresse mais avec l’abandon octroyé par l’absolu certitude d’une absence de jugement. Il y avait l’ivresse sans l’ivrognerie. Tout était pour l’heure doux et tu avais pour chacun une profonde bienveillance, des élans d’amitiés, une douce indulgence pour ce qui t’aurait agacé quelques heures plus tôt.
C’est la magie des nuits bavardes, celles que tu préfères. Celles qui s’éternisent tant que les sujets ne s’épuisent pas, tant qu’aucun conflit, aucun ego ne vient perturber les paroles ou les gestes. Tant que chacun existe, est écouté, tant que personne ne tente de prendre l’ascendant. Il est deux heures du matin. Les rues sont calmes, les fenêtres de la rue sombres mais peut-être que s’agacent secrètement des voisins ronchons du tapage, pourtant bien sage, que vous commettez. C’est que le bar vous a mis à la porte à 23h et que la soirée ne pouvait s’arrêter là. Depuis vous vous êtes réfugiés ici, quelques bâtiments plus hauts, chez la vague connaissance, d’une vague connaissance. Dans le salon de l’appartement petit, décorés de meubles de récupération repeint aléatoirement et d’affiches diverses de spectacles, de vieilles publicités sérigraphiées, d’œuvres d’un charme païen probablement commandées sur etsy et de films plus ou moins obscurs. Personne encore n’est parti, soirée non prévue, un mardi soir. L’ambiance légère trop rare, moment de grâce que personne ne veut abandonner, peu importe le lendemain et les obligations. Toi, tu n’as rien avant les répétitions de soirée pour la prochaine pièce, une critique qui peut encore un peu attendre.
Assise sur le large rebord d’une fenêtre agrémentée de coussins bariolés, tu échanges avec Eliyaz. Tu le ne connaissais pas il y a quelques heures et il est désormais indubitablement une évidence. Vous êtes passé sur des dizaines de sujets, dans des groupes de moins en moins nombreux, échangeant des regards amusés, puis entendus. Vous n’êtes plus que deux dans ce coin de pièce à discuter des personas de Bowie. Tu aimes le Thin White Duke et tu argumentes, sur ce sujet à la fois futile et primordiale. Ils sont rares mais primordiaux, ces coups de foudre pour des identités, pour des êtres. Parfois ils ne durent qu’un temps, parfois ils sont plus profonds, tu en as souvent et tu te laisses porter.
Tu n’as pas toucher à ton verre. Tu aimes seulement l’odeur tourbée du whisky et faire tourner le breuvage doré dans son verre. Tu le tiens du bout des doigts, ton bras posé sur ton genou. Les glaçons ont depuis longtemps fondu. Tu le lèves lorsqu’une nouvelle tournée de shot ameute vers le bar improvisé quelques occupants. Tu sens que l’ivrognerie approche et que ce qui est doux ne tardera pas à devenir glauque. Une bousculade, un bras en percute un autre et le contenu d’un shot se déverse sur un tee-shirt. Le ton monte, une blague tente de désamorcer mais une tension flotte désormais et risque de se répandre et de contaminer la soirée. Ton sourire se fige avant de reporter ton regard sur ton interlocuteur «
Ca te dit de décamper ? » La nuit est un peu fraîche mais les rues vides vous tendent les bras. Tu n’as rien d’autre en tête que l’envie de connaître un peu plus Eliyaz. Tu sens pourtant qu’il y a chez lui des ombres, des violences qui flottent et se dissimulent mal. Ca te rend plus curieuse qu’inquiète. Il a la gueule de la plupart de tes erreurs. Peut-être que tu éprouveras quelques regrets, tu en éprouves souvent à laisser entrer dans ton existence toutes sortes d’êtres mais tu chéries chacune de tes erreurs. Tu poses ton verre sur un guéridon surchargé et déplies ton corps de son bord de fenêtre. Tu n’as vraiment pas l’intention de rester ici et tu espères l’inciter à te suivre. T’as un sourire d’ado mutine. Grande gamine autant qu’il paraît être grand gamin refusant chacun vos âges pour continuer de profiter le plus possible d’une insouciance que le temps vous a, en réalité, déjà arraché.