cocon de cocagne
Elle n'aimait rien de plus que les hésitations quant à ses nouvelles lectures ; serait-elle alors femme victorienne œuvrant dans l'ombre pour de sordides complots? Fils bâtard d'un roi abdiquant à la couronne pour défaire ses pêchés? Parlerait elle aux loups, aux lions, aux baleines? Agirait elle dans l'ombre pour maintenir la sécurité d'un roi, flamme assassine formée à reconnaître les poisons et goûteuse sans cesse en danger ? Ou alors, princesse poétesse parcourant la lande simplement armée d'un luth, désirant saisir la beauté dans un grain de sable, et trouver quoi faire rimer avec la rosée du matin? Elle déambulait dans les allées réconfortantes de la bibliothèque attendant comme à chaque fois qu'un titre ou une première de couverture l'attrape plus que l'inverse, et alors, elle saurait. Mais des petits yeux la fixaient, et elle n'avait pas envie de se défaire d'eux, simplement de comprendre ce qui, dans son attitude, lui valait ces regards. Elle le croisait souvent, par ici, mais n'avait jamais trouvé le courage de lui parler : comme si cela devenait une obligation, une responsabilité de se lier et de converser avec qui semble avoir la même passion, les mêmes envies. Dans ce regard, il y avait autre chose cependant, qui la pousserait presque à s'y essayer, mais elle n'avait pas encore déterminé quoi. Une ombre, un questionnement et une étincelle de vie qu'elle sentait brûler. Elle ne savait pas. Mais quelque chose, un jour la ferait basculer, elle le savait. Il le fit avant elle, s'approchant en silence alors qu'elle parcourait les terres enneigées de Gwendalavir, mais aucun trouble ne vint saisir ses pages alors qu'il s'asseyait à ses côtés et, dans un sourire, elle scella l'accord silencieux qu'ils avaient passé. Depuis lors, ils s'asseyaient toujours à la même table, rassurante présence et sourires tacites, sans jamais s'être dit autre chose que ce que murmuraient leurs regards "je suis heureuse de voir que tu vas bien", "j'espère que ta journée a été douce".
Il était devenu le compagnon silencieux de ses errements imaginaires, l'ombre dans ses déambulations oniriques, et quelque part, il prit une place qu'elle ignorait posséder au fond d'elle. C'était doux de le retrouver, rassurant de le savoir proche et si elle ne l'aurait pas avoué, il était devenu un de ses rendez-vous préférés de la semaine. Mais des jours sombres étaient arrivés avec la réapparition de Mina et elle dut le laisser de côté, lui aussi, pour finalement se rendre compte qu'elle avait passé plus d'une semaine sans le retrouver. Elle s'en sentit même un peu honteuse et anxieuse à l'idée d'y repartir, et de le revoir - peut-être l'avait-il mal pris ? Elle fut rassurée de le voir à leur endroit habituel, et elle espéra qu'il avait peut-être eu des empêchements également, qu'il n'avait pas remarqué sa défection. Elle attrapa les aventures de la jeune femme qu'elle lisait actuellement, et, prête à se laisser glisser dans cet univers de cape et d'épée, elle s'installa à sa place habituelle. Son sourire fut cependant fauché par les mots qu'il lui adressa, à voix basse pour ne pas déranger d'autres lecteurs et elle se fit la réflexion qu'elle entendait sa voix pour la première fois. Il avait un timbre étonnamment bas et pour quelqu'un qui lui semblait plus jeune, elle en fut étonnée mais cela allait parfaitement avec la présence rassurante qu'il lui était devenu.
« La vie ne m'a pas été très facile, cette semaine. A croire qu'elle voulait m'empêcher de te rejoindre ! » Et elle lui sourit, espérant qu'il ne relèverait pas son changement de sujet. C'était étonnant d'avoir l'envie de se confier à celui qu'elle ne connaissait pas outre mesure, et en même temps le besoin de se protéger de lui, et de ce qu'il pourrait apprendre d'elle. « Quelqu'un que j'ai connu autrefois vient d'arriver en ville et je n'y étais pas préparée. » C'était oublié, le fait de ne pas savoir comment il s'appelait, de chérir cette relation silencieuse et d'amis qui ne se connaissent pas; ils rentraient dans ce qu'il y avait de plus effrayant - une relation qu'elle pouvait perdre.