cw alcool, langage vulgaire.
Le tapage de la fête résonne jusque-là ; les vibrations, la musique et le bruit confus d'une foule contenue à grand-peine entre quatre murs remuent la vieille bâtisse comme s'il s'agissait d'une sorte de monstre à la fois vivace et inerte. C'est l'heure, dans les arcanes du Red Castle, où la rumeur des discussions et les éclats de rire ricochent contre des coupes qui ne désemplissent pas. Et, lui, sa cigarette coincée entre les dents, et les phalanges à épingler une broche au revers de sa veste, a le détachement tout à fait ingénu de celui qui n'a aucune excuse pour son retard – dont on pourrait presque dire qu'elle tient de
l'absence – et ne s'en cherche pas.
– Éteins ça. En même temps qu'elle lorgne, l'œil critique et mauvais, la clope à sa bouche, Toni lui verse une mesure de vermouth dans deux de campari. C'est son job, de veiller sur tout ce qui est inflammable à la ronde et que la salle ne manque jamais de joie liquide. Aussi ne goûte-t-elle qu'à moitié la présence de Dario dans son cellier, son
royaume, qu'il prend du reste pour un vulgaire vestiaire.
– Tu vas mourir de quelque chose, annonce-t-il avec un ton subtil de paternalisme.
– Tu vas mourir de quelque chose, elle rétorque sur un ton bien plus évident de menace.
Mais un rictus prodigieusement canaille crève la bouche de Dario. Il s'en fiche. Il se fiche de tout.
– La Lynden est une vraie salope, ce soir. Même Narcisa... – Si Isla t'entend parler de sa clientèle-chérie de cette façon...– C'est pas moi qui vais avoir des problèmes avec Isla ce soir.Toni est venue se planter face à lui. Elle est un peu plus grande, et il ne bouge pas d'un millimètre tandis qu'elle réajuste son col et gomme un il-ne-voit-pas-quoi au coin de sa mâchoire.
– Qu'est-ce que tu fous, Dario ? C'est vrai : ça ne lui ressemble pas, pas du tout. D'autant que son rendez-vous avec Ms Lynden (c'est, en réalité,
Madame Lynden, mais enfin, il n'est personne pour dicter ses petites coquetteries à une femme) est planifié de longue date ; elle demande
toujours après lui. Et il s'efforce
toujours de lui rendre son choix. Si le Red Castle n’était pas ce qu'il est, ils feraient rougir
Monsieur Lynden.
Or, il est là maintenant. Et, une fois passé à la vérification critique de Toni, Dario s'introduit dans la grand-salle comme un assassin. Il était là. Il a toujours été là. Parvenu jusqu'à la tablée, et malgré la malice rivée à ses rétines, le regard qu'il décoche à sa sœur est plein de
Fais pas chier, je suis là. plus tard
On n'entend plus rien que le tintinnabulement des verres que l'on débarrasse. Et, plus loin, peut-être le filet de voix exaspéré d'Isla. Le fait qu'elle soit invisible n'est même pas rassurant en soi. Dario reste pourtant vautré sur sa chaise, sa veste moite de la nuit jetée sur les genoux et une autre cigarette entre le pouce et l'index.
Il se retient d'égarer la cendre sur la nappe (d'une propreté plutôt remarquable au vu de la soirée) quand il surprend – il
reconnaît, car il saurait la reconnaître entre sept milliards – la silhouette de Narcisa. Dario ne s'essaie pas à soutenir son regard.
– C'est une putain de mauvaise journée. Il a l'air de se défendre et, en même temps, dans le creux de ce qu'il dit ou ce qu'il ne dit pas, c'est aussi tranchant qu'un reproche.
– J'ai le droit à une mauvaise journée. Il s'imagine esquiver le sermon, ou quoi qu'elle ait préparé. Dario n'ignore pas l'importance du Red Castle, pour chacun d'eux, mais il n'est pas prêt à souffrir ce rappel, pas ce soir, pas
aujourd'hui.