dungeons & dragueurs (nicky)

Enfiler un sourire comme il enfile son t-shirt; devant le miroir au coin ébréché qui trône sur le dessus de la commode antique, l’odeur du bois presque chassée par le filet d’air glacé qui s’immisce dans la chambre par la fenêtre. Malgré tout, cette petite chambre miteuse est ce qui s’approche le plus de sa maison; d’un endroit où poser son coeur aussi bien que ses affaires. L’ameublement a été fait par la grand-mère de la propriétaire, sûrement. Le lit est décoré d’une courtepointe aux ourlets immaculés, décolorée par l’usage et les lessives mais entretenue avec un soin tout particulier; une jupe de lit en décore le contour, similaire à celle qui orne le haut de la fenêtre. Le papier peint fleuri a lui aussi perdu de sa vitalité, mais donne à la pièce un air lumineux, vieillot, confortable.
Il devrait isoler la fenêtre. Ajouter des couvertures laineuses sur le lit. Acheter un petit chauffage d’appoint électrique; un faux foyer, pourquoi pas ?
Mais chaque fois qu’il quitte le village dans le vieux pickup truck rouillé, c’est comme si le quotidien restait emmitouflé dans les couvertures pour le laisser partir à l’aventure.

La mauvaise humeur le quitte dès que la porte est franchie. Manteau sur les épaules, pommade artistiquement posée dans les mèches noires avec ses doigts. Il a du glitter au coin des yeux, l’espoir que ce shift au bar lui ramènera assez de pourboires pour finir le mois, pour se payer une virée dans les magasins (et ce fameux chauffage, peut-être). Et, non-négligeable, il sera avec Nicky. Le barman s’est infiltré dans les contacts de son téléphone, les messages envoyés à peine quelques minutes avant que l’appel du gérant ne fasse vibrer l’appareil sur la table de nuit. see you later xx


Difficile de se souvenir de ce qui le tracassait alors que toute son attention est tournée vers Nicky; ce qu’il fait, les mouvements ridicules qu’il exécute en agitant le cocktail fruité qu’on vient de lui demander. Parce qu’entre eux deux, c’est la guerre, la vraie: c’est à celui qui saura être le plus impressionnant, attirer le plus de regards et surtout, le plus important montant de pourboires. Un jeu dont il pourrait facilement se lasser si son collègue ne le rendait pas si compétitif; s’il ne savait pas venir chercher l’orgueil de Locke si aisément, jusqu’à le mener par le bout du nez.

Il fait virevolter le shaker dans les airs alors que la serveuse du soir dépose (ou plaque violemment, plutôt) une serviette de papier sur le bar, avant de vider le plateau de verres vides pêle-mêle dans tous les recoins libres. « Pour le "barman mignon aux cheveux noirs". » Le ton sec et les yeux levés au ciel, l'ironie des guillements bien audible par-dessus la musique tout juste trop forte. Et puis elle retourne parmi la foule, sans s’attarder, parce qu’elle en a vraiment rien à faire des deux tocards arrogants en plein pissing contest.
Le shaker dans une main, l’autre qui subtilise le numéro de téléphone gribouillé d’une main maladroite (sûrement un peu bourrée), Locke recule de quelques pas pour se mettre hors d’atteinte. « T’inquiète pas, c’est pour moi. »