entretien
La Corolla, jet black, de 1972 vrombissait dans les rues de Scarborough, alors que je roulais en direction de l’hôpital. Jamais en retard, toujours parfaitement apprêté chez les Ackley. C’était en tout cas ce que me répétait mon père toute mon enfance. Cette attitude était digne de notre rang disait il. “Notre rang, et notre rôle, tu peux comprendre ça ?!” qu’il me hurlait, ses deux mains massives enserrées à mes deux épaules. De quel rôle parlait-il, de quel genre de rang était-il si fier, je me ne l’expliquerai jamais. Sa fierté transpirait à travers chaque centimètre carré de sa peau, chaque accessoires qu’il portait à ses costumes, jusqu'à la simple chevalière à se main. Sa prétention à toujours être meilleur, toujours plus que les autres m’a toujours dégoûtée. Cette chevalière, elle était désormais juchée sur mon annulaire droit, brillante sur cette main qui serrait si fort ce volant. Ce statut pseudo-aristocrate, surtout et simplement riche, c’était moi qui le portait. Ces sempiternelles cogitations étaient, comme à leur habitude, signe que je me dirigeais vers ces rendez vous que j'abhorrais : les entretiens avec ma psychologue.
Frein à main serré, il me fallu quelques minutes - minutes qui me mirent en retard, pour rassembler mes forces et mes pensées pour sortir de cette voiture. De quoi allions nous parler aujourd’hui. Quels maux allait-elle déterrer après seulement un rendez-vous, qui datait maintenant d’il y a quelques semaines. Le précédent avait servi de présentation : habitudes de vie, vie de famille, famille compliquée : compliqué fut ce rendez vous. Rempli de répétitions, de bégaiements, d’hésitations et de non-dits. Quel souvenir allait-elle ramener à la vie ? Ceux de cet Alden enfant, toujours dans l’incompréhension face aux exigences de ses parents ? Ceux de l’adulte héritant de la fortune de ses parents bien plus tôt qu’il ne l’avait pensé ? Ou encore ceux d’un adolescent secoué par une vie rude aux apparences pourtant si douces. Alors j’ouvrai la portière, doucement, calmement. Puis, un pas devant l’autre, me dirigeait vers l’hopital.
C’est cette odeur qui me frappa lorsque la porte automatique me laissa passer. Une odeur trop propre, trop neuve, trop aseptisée pour être vraie et honnête. Ou peut-être étais-je déjà coincé dans ma tête, analysant tous les éléments de mon champ de vision, anticipant de quelques minutes le rendez-vous pour lequel je mettais les pieds ici. Vite habitué à ce parfum abject, je guettai le premier écriteau indiquant une certaine Bradner, psychologue avec qui j’allai échanger. Enchaînant les couloirs, parfois vides, parfois encombrés de brancards et autres fauteuils roulants, je finissais dans une alcôve, près du bureau tant redouté. Ces cinq dernières minutes furent partagées entre panique silencieuse et repos de l’esprit. Une dernière bouffée de calme ambiant avant de me plonger dans le brouhaha mental. Puis une femme se présenta à quelques mètres. Mon analyste du jour, l'intellectuelle ennemi de mon esprit. Je la saluai en me relevant, et pris la parole.
“Je n’ai pas envie d'être là, et je ne sais pas de quoi je vais parler, mais j’imagine que ça aussi, c’est un départ intéressant pour un rendez- vous avec sa psychologue.”