Perdue peut-être sur les chemins de la raison, la juge erre là où elle ne devrait. Ange de paix entourée des démons, Maeve s'enfonce dans les profondeurs de la ville. Nulle crainte sur son visage, qu'une rigidité habituelle, cette sombre douceur qui n'appelle pas à être dérangée, ou pire contrariée. Son pas n'est pas sûr pourtant, l'hésitation est certaine à chaque carrefour. Elle est comme Alice, aux pays des merveilles, s'enfonçant sans comprendre dans un monde chaotique, qu'elle trouve parfois loufoque. Car dans son coeur, nulle tendresse, ni pour les junkies, ni pour les paumés. Pire, une certaine forme de mépris, qu'elle a appris à dissimuler.
Alors elle n'est pas là pour quelques sucreries, ses intentions sont plus sombres. Il y a dans les tunnels crasseux des informations qu'elle cherche désespérément, assez pour exposer sa nuque, assez pour se mettre en danger. Pulsion qu'elle ne se résigne à éteindre alors même qu'elle risque son nom et sa vie, dans les bas fonds de Scarborough. Pulsion qu'elle devrait anéantir, qu'elle se promet chaque fois de retenir mais qui toujours l'emporte. C'est plus fort qu'elle, plus grand que sa terrible volonté, et que tous ses entêtements. Un besoin irraisonné qui ne réparera jamais le mal qui fut fait. Mais qui l'apaise, chaque fois qu'elle faiblit, comme si l'action plus que les mots était importante. Comme si qu'importe tous ses jugements, la vérité était ici - dans ce monde de mirages et de mensonges.
Maeve explore des territoires si loin des siens, si loin du ciel et de la justice toute puissante. Trop habituée à briller, même dans l'ombre, elle ne se rend pas qu'elle dénote, dans ses habits de luxe pourtant soigneusement choisis pour se dissimuler parmi eux, que les regards se tournent vers elle, curieux. Et qu'elle pourrait attirer plus mal aimable qu'elle, prêt à se saisir d'une opportunité trop facile. C'est qu'elle manque aussi de cette empathie salvatrice. Ce sens du danger, qui devrait la faire fuir et se réfugier dans les hauteurs de la ville.
Le silence attire le bruit, et la perte le chemin. Roxy apparaît dans une flamboyante énergie. Un doux chaos, qu'elle perçoit déjà comme un repli. Le jugement est rapide, silencieux. Son regard creuse les traits, cherche les prunelles derrière les lunettes, la malveillance derrière le sourire. L'étrangère n'a pas l'air complètement fusillée par la vie, ni d'humeur au crime. La femme a même quelque chose, dans son visage, son allure, de terriblement familier, mais Maeve ne la remet pas. Cela l'intrigue pourtant, fait chatoyer ses yeux comme si elle avait devant elle, une pièce du puzzle, un lapin blanc qui puisse décompter ses heures et la guider ici bas.
Un peu, c'est vrai.
Perdue entre le passé et l'avenir, entre ce quelle devrait faire et ce qu'elle fait, entre sa retenue et son impulsivité. Maeve a besoin d'un guide, d'un alibi, de quelqu'un qui lui ouvre les portes et derrière qui elle puisse se dissimuler.
Avec plaisir.
Alors elle se laisse entraîner, perdre sur les chemins sans assurance que la femme ne cherche pas à lui nuire. Mais Roxy a quelque chose de tellement naturel, tellement flamboyant, que la juge lui accorde une certaine forme de confiance, gardant quand même un oeil sur son entourage. Dans le fond, elle espère que l'exubérance sera aussi verbale. Alors qu'elle s'avance à ses côtés, Maeve lui confie.
Je suis à la recherche, d'une certaine forme très particulière de distraction.
En dire peu, juste assez, voir si l'hameçon mord, sans pour autant tirer tout de suite sur la ligne. Entrouvrir une porte, un intérêt, et puis s'en éloigner tout aussi vite.
Et d'un verre aussi, je m'ennuie.
Se donner les vices des autres, s'imaginer le manque dans leurs veines, de substances et puis de distraction. Se donner une légèreté qu'elle n'a pas. Pour mieux s'adapter, pour mieux s'infiltrer. Donner le change, sans savoir s'affranchir de son mélancolique sourire.