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butchered tongues (gilda)

Sam Hall
aucune suspicion

Sam Hall

saisons : Trentenaire.
occupation : CV pourri, rendez-vous chiants avec son conseiller emploi, compte bancaire troué. Rien à signaler.
myocarde : Coeur brisé et verve inexistence, Sam a le célibat résolu.
miroir : butchered tongues (gilda) Cc502e898945f3c1422c353764253fe51a5ab7e6
faciès & artiste : Barry Keoghan (@persephoniagraphic)
victimes : 17


darling house | 11.2024

❝ ❞
And as a young man, blessed to pass so many road signs
And have my foreign ear made fresh again on each unlikely sound
But feel at home, hearin' a music that few still understand
A butchered tongue still singin' here above the ground


Sam n’est jamais aussi à l’aise pour chanter en public que quand il n’y a plus personner pour l’écouter.
À Londres, cela n’arrivait jamais. La ville ne dormait jamais et, si on ne s’arrêtait pas forcément pour l’écouter, lui, il y avait toujours des passants pour l’ignorer superbement et des regards en biais qui lui donnaient envie de se ratatiner sur son petit tabouret.
Ici, quand il se place en face de la gare, le soir, il y a toujours un moment où les trains s’arrêtent, les passants ne passent plus, la nuit l’enveloppe. Le monde s’éteint finalement autour de lui et il n’y a que son tabouret sous ses fesses, sa guitare entre les mains, et tous ces mots qu’il n’arrive pas à dire lui-même. Il ferme les yeux et se noie en lui-même, ne chante que pour lui-même et pour toi, à qui il pense si souvent. Il abandonne Wonderwall, il laisse tomber sa cover du dernier Ed Sheeran, il se plonge dans ses propres accords, ces vers qu’il s’arrache à lui-même comme si c’était ses propres organes qu’il passait à l’air libre.
On ne sait pas trop s’il chante pour Dieu, s’il chante pour une femme, si ce you si obsédant, si ce darling sans nom existe vraiment ou s’il n’est que la construction poétique d’un manque viscéral. Il chante sa solitude, parfois peinée, parfois énervée, il chante la souffrance de l’abandon, l’aliénation au monde et à soi-même sans toi, l’appétit étourdissant de ta chaleur, sa présence, ta lumière et il t’en veut, et il te pardonne, d’une chanson à l’autre, sans qu’il se souvienne laquelle il a écrit avant l’autre, laquelle est la plus vraie, la plus honnête.
Il ment toujours un petit peu quand il écrit et quand il chante, un dernier rempart d’intimité alors même qu’il déverse tous dans ces mots qu’il s’est tant chanté à lui-même qu’il oublie que quelqu’un d’autre peut l’entendre et le comprendre.
Quand il s’arrête, c’est qu’il a mal à la gorge. Il tousse un peu, grimace en rouvrant les yeux. Le retour à son propre corps, son existence, est difficile à vivre, comme toujours. Il expire profondément en reposant sa guitare pour saisir sa bouteille d’eau.
Il a commencé à boire quand il remarque qu’il y a quelqu’un, là, planté non loin, à le regarder.
Encore dans un état second, il parvient à finir de boire, sans lâcher son regard de celui d’en face. C’est pas vraiment un défi, Sam n’a pas ce genre de colonne vertébrale, mais plutôt comme un aimant auquel il aurait du mal à se décrocher.
Elle a quelque chose, cette jeune femme, ce genre de femme à qui il a envie de coller une perruque rousse juste pour se faire mal au cœur. She reminds me of you. C’est juste un flash, une phrase habituelle, quelque chose qui lui fait penser à une illusion avant que ça ne disparaisse.
Il repose la bouteille d’eau à ses pieds sans bouger de son tabouret, le menton un peu relevé vers elle.
Ailleurs, dans un autre temps, dans un autre corps, il n’aurait pas osé parler à une femme comme ça. Il aurait baissé les yeux depuis longtemps et rangé ses affaires en espérant qu’on ne lui dise rien. C’est quelque chose comme du courage qui vibre en lui, pourtant, quelque chose qui ressemble à de l’ambition, celle qui l’a poussé à partir pour Londres pour réaliser des rêves étouffés.
Parce qu’au fond, même si Sam chante surtout pour lui-même, il espère quand même qu’on l’écoute.
— Are your ears bleeding or something?
Il a l’accent irlandais plus fort d’être déstabilisé, le ton un peu défiant, l’air de dire I can take it. Bien sûr, c’est un mensonge.