Le chat et la souris
TW/CW vulgarité, vocabulaire homophobe, sexualité (non explicite).
Toujours pas là. Le vieux gars vérifie l’heure sur l’horloge de la boucherie, pince les lèvres ; rictus fâché. Est-ce qu’il est juste à la bourre ou est-ce qu’il a décidé qu’il le croiserait plus jamais après son commentaire super gênant sous son post Insta ? Rien que d’y repenser, Rossi a envie de se cogner le front contre un mur jusqu’à ce que mort s’ensuive – mort de honte, c’est bien le mot. Faut vraiment qu’il apprenne à supprimer ses putains de commentaires sur cette merde. Il demandera à Pearl, tiens, le p’tit gars doit bien savoir ça. D’un autre côté, bon ; il est fixé, au moins. Après des plombes à se regarder par en dessous, à s’attarder autour de sujets pas forcément passionnant rien que pour le plaisir de sa présence, de son odeur qui lui gonfle la poitrine de sensations étourdissantes… Au moins, il est fixé. Pas intéressé, le garçon, voilà. Ça aura eu au moins ça de bien de passer pour un gros con. Et bordel, il espère que l’autre va pas le traiter de pédé. Ça a pas l’air d’être son genre, mais on connaît pas les gens. Bien placé pour le savoir, le gaillard.
Mais au moment où il se résignait à fermer boutique après une demi-heure à poireauter depuis la fermeture officielle, Damon le voit. À petits pas pressés, il déboule dans la boucherie pour venir récupérer sa commande. Soudain, ça lui pique les pommettes et ça lui picote le bide ; mélange de soulagement, de coup de pression et d’envie qui le rend sacrément con. “J’ai b’en cru que tu te pointerais pas” ronchonne-t-il en sortant l’emballage papier du frigo. Personne croit à sa comédie, il a un large sourire sur la gueule. Avec des gestes automatiques qui prennent racine dans l’habitude, il dépose la commande sur la balance, fait sortir le ticket et annonce le prix machinalement avant de lui présenter le TPE ; Anthony paie toujours par carte. “J’t’ai mis un échantillon de la préparation du jour, c’est cadeau.” Vraisemblablement resté à l’âge de pierre, Damon offre de la viande en guise de parade amoureuse. Enfin, amoureuse – un grand mot quand on a juste envie de plaquer le mec contre un mur pour lui faire sa fête.
Rossi croise deux larges bras sur sa tout aussi large poitrine, patientant pendant le paiement ; du moins, jusqu’à ce que ça le démange de le retenir un peu plus longtemps. Il se traiterait bien de tous les noms de collégienne en chaleur du monde s’il était pas déjà occupé à s’imaginer une scène interdite aux moins de dix-huit ans. Probablement la faute à plusieurs années sans baiser, et à beaucoup trop de temps chaste accordé à ce mec super canon qui lui torture les méninges dès que la frustration commence à pointer le bout de son nez. “Tu reçois du monde ?” La question serait presque innocente, si elle était pas sous-titrée : “Genre ton ex-femme que tu lorgnes toujours ?” Ça aussi, c’est quelque chose, de croiser Beau et Anthony à tour de rôle dans la boucherie. L’impression d’avoir un truc à se reprocher lui démange la nuque à chaque fois qu’il croise cette meuf. Sans doute parce qu’il a bien vu le regard que lui lance son ex à chaque fois qu’il la croise. Difficile de louper ça. Mais bordel, qu’est-ce que tu t’imagines, Rossi ? Vous jouez pas dans la même cour, avec ce gars. Il est vraiment temps qu’il tire son coup ; ailleurs.
Les mots passent ses lèvres avant même qu’il y ait réfléchi, peut-être parce qu’il s’est emmêlé les pinceaux, peut-être parce que l’attente devient insupportable et qu’il est plus que le moment d’y mettre un terme. “Tu fais un truc, samedi prochain ?” Ouais, genre s’occuper de son môme, connard. Pourquoi est-ce qu’il est comme ça, sérieux ? Le grand méchant boucher se liquéfie dès qu’un pauvre pelo lui plaît, c’est ridicule ; ça fait même carrément pitié. Tout à parier qu’Anthony – si c’est pas déjà fait – va aligner toutes les fois où il lui a fait du gringue (plus ou moins subtilement, plus ou moins volontairement) et se casser d’ici vite fait en réalisant que le type en veut vraiment à son cul.
icon lune