Seuls
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cw : deuil, mention du décès d’un parent.
Charles faisait les cent pas dans le salon, ses oreillettes dans l’oreille, le portable dans sa main, la voix de sa femme lui parvenait depuis Londres.
"Yeah… He’s getting better. He’ll soon come home, I guess." … "I’m not a bloody doctor Penny. I told you everything that I know." … "Yes. Yes, I’ll tell him. He said hello, by the way." … "Well, yes, that’s a lie." … "Yes. I’ll do that. And you? Everything’s fine at home?" … "Nice. Kiss Pierce for me now would you?" … "Love you too Penny. Bye. Good night."
Il raccroche d’un mouvement du pouce et glisse le portable dans sa poche arrière, retire les oreillettes pour les ranger dans leur boîtier. Sans cesser de tourner en rond, comme un lion dans sa cage, dans le salon vide de la maison parentale.
L’absence de sa mère était un trou qu’il avait appris à ressentir, entre ces murs. Celle de son père en revanche… Il n’avait pas pensé qu’il devrait la ressentir aussi vite.
Bien sûr ce n’était que temporaire, les médecins les ont rassurés sur ce point, Archibald Darling n’était pas encore prêt à être cloué dans un lit d’hôpital pour le restant de ses jours.
Même en sachant cela, cependant, la situation résonnait bien trop avec le décès de sa mère pour qu’il puisse aborder la chose avec la tête froide.
Heureusement, il n’avait pas besoin de faire face à cela seul. August rentrerait bientôt. Peut-être qu’August était la seule personne qu’il voulait voir, en ce moment. Pas même son oncle, ni sa femme ou ses enfants. Il n’était pas certain qu’ils puissent comprendre ce qui l’agitait. Il n’était pas certain de pouvoir réussir à exprimer quoi que ce soit de ce qui le brûlait face à eux.
August… c’était différent.
Quand il entend sa soeur arriver sur le palier de l’entrée, Charles est dans le vestibule pour l’attendre, à la manière d’un chien qu’on aurait laissé trop longtemps seul à la maison. Il a passé un élastique autour des doigts de sa main gauche et s’applique à ouvrir et refermer ses doigts dans un rythme lent et précis, comme son ergothérapeute le lui avait appris il y avait maintenant plus de trente ans. L’exercice était devenu une façon de se détendre maintenant, un signe flagrant de sa nervosité.
Et la nervosité de Charles cachait souvent beaucoup d’autres émotions brusques.
Il accueille sa sœur avec un sourire plat et machinal.
"Hey. You good?"
Il ne sait pas si elle revient de l’hôpital ou autre, ils ne sont pas toujours collés à leur portable pour se parler, eux deux. Ils n’en n’ont pas besoin. Ce que Charles sait, c’est que s’il appelle August pour lui dire de rappliquer, elle viendra. Et que la réciproque est vraie.
"I ordered Indian, for diner. It already came. Wanna eat at the table, or the couch?"
Ce n’était pas avec leur père qu’ils iraient manger sur le canapé, mais Archibald n’était pas là, absent de sa propre maison. Et Charles ne se sentait pas capable, le premier, de parler de l’affaire même s’il n’y avait que ça qui tournait en boucle dans sa tête. Sa main gauche tendait et détendait l’élastique de plus en plus vite. Non, il ne se sentait pas capable de faire remarquer qu’ils n’y avaient que eux deux, maintenant, alors qu’ils étaient venus justement pour éviter qu’il n’arrive quelque chose à leur père.